La détresse de celui·celle qui vit aux côtés de celui·celle qui boit et n’en finit pas de boire n’est pas assez reconnue. La descente aux enfers de la personne qui boit masque la détresse du·de la conjoint·e. Et pourtant, cette détresse n’est pas moindre : elle est en miroir de celui·celle qui boit.
Prenons le cas de l’épouse et mère de famille.
Sa détresse ? Voir l’être aimé se dégrader : il n’est plus le même, celui qu’elle a connu des années auparavant. Soit il est souvent « absent » de la famille parce qu’émotionnellement et cognitivement dans un état second lié à l’alcoolisation − il devient le « grand absent » de la famille. Soit, sous l’effet de ces alcoolisations souvent quotidiennes, la personne alcoolique se fait désagréable, irritable, colérique, violente verbalement, voire physiquement. Il faut endosser ! L’épouse va vivre dans l’anxiété anticipée de ce caractère perturbé de celui qui boit. « Va-t-il encore rentrer désagréable comme d’habitude ? Va-t-il encore s’affaler devant la TV ? Va-t-il encore se faire harcelant ? ». L’épouse va développer, dans cette situation au long cours, tristesse, colère, anxiété, repli, peur.
Détresse de voir l’autre devenu un être non responsable ; l’autre devient un « enfant » parmi les vrais enfants de cette mère de famille. « Enfant » paisible (« l’absent ») ou « enfant » qu’on se met à redouter, exécrer.
Détresse de constater que sa propre vie de femme, il faut la mettre entre parenthèses ; les propres besoins de cette conjointe (comme de tout être humain) doivent être postposés vu que les soucis venus de la personne qui boit occupent tout le terrain. Toute la vie tourne autour des aléas amenés au quotidien par celui qui boit. L’univers de celui qui ne boit pas se rétrécit.
Détresse de constater que les enfants sont en danger. La conjointe est prise entre la conscience qu’elle a de devoir protéger ses enfants et la réalité où il s’agit de maintenir le couple à flot tant bien que mal avant l’éventuel naufrage.
Détresse parce qu’il n’y a plus de couple ; il n’y a plus de mari/conjoint aimant. Il n’y a plus d’homme qu’il est bon de tenir dans ses bras et qui vous tient dans ses bras. La sexualité n’existe plus ou alors est le plus souvent « gâchée » par cet alcool.
Détresse parce que les craintes de l’avenir sont omniprésentes. « Quand cela va-t-il s’arrêter ?».
Détresse parce les problèmes d’argent empoisonnent le présent et font appréhender l’avenir.
Détresse parce qu’il faut affronter le regard de la société.
Détresse parce qu’on se doute bien que des problèmes graves de santé ne manqueront pas d’être au rendez-vous tôt ou tard.
Détresse parce qu’on se pose parfois la question de sa propre responsabilité dans le développement de l’addiction de l’autre.
Détresse parce que l’on n’arrive pas à faire arrêter l’autre de boire.
Détresse d’être souvent seule, et seule à devoir gérer les choses.
Détresse du pourquoi cela m’arrive, pourquoi cela nous arrive.
Cela fait beaucoup de détresse et de souffrance, de tristesse, d’amertume, de colère.