Chez les AA, on entend parfois dire, face à la lente déchéance de quelqu’un qui ne s’arrête pas de boire ou qui va de rechute en rechute, qu’il « n’a pas encore touché son fond ». Certains familiers désabusés diront : « cela s’arrêtera-t-il un jour ? Des soignants, des médecins confrontés à l’ambivalence de leurs patients et leurs re-consommations laisseront tomber : « Ils viendront me revoir quand ils seront motivés ».
Qu’en penser ? Quand il s’agit de soignants, de médecins, de membres de groupes d’entraide qui affichent ainsi leur impuissance et leur incompréhension face à cette descente aux enfers de leur patient, de leur proche, de leurs pairs, nous dirions volontiers que c’est aux soignants, au médecin, aux pairs de relever ce « fond », d’arriver à toucher et « saisir » ce patient, ce pair, avant qu’il ne touche son fond.
Une vraie empathie, trouver les mots justes, développer une communication adaptée permet le plus souvent d’arrêter cette descente aux enfers.
Pour le médecin, il s’agira d’établir d’abord le lien – sans quoi rien n’est possible – puis de mettre en place des stratégies motivationnelles qu’il aura apprises et les bonnes façons de communiquer par rapport à un patient qui affiche un « déni ». Le plus souvent, le lien se fera et la prise en charge sera possible. Si le patient parait figé et n’entend pas le message que lui adresse son médecin, il n’y a pas que les « résistances » du patient qu’on peut invoquer, c’est le « style thérapeutique » du médecin qui est en cause. Le déni, et surtout sa persistance, est plus le fait du soignant que celui du patient !
Les proches en désarroi par rapport à cette descente aux enfers sont effectivement souvent les plus mal placés pour susciter l’arrêt de cette alcoolisation morbide. Justement parce qu’ils sont les proches, trop « proches ». L’épouse d’un mari « alcoolique » est effectivement la personne qui, par sa place d’épouse, est condamnée à l’impuissance ; ne plus être une épouse « codépendante » permettra peut-être de modifier la situation familiale et, par ricochet, l’attitude de son mari et ses comportements d’alcoolisation.
Quant aux pairs – les groupes d’entraide –, peut-être devraient-ils parfois s’inspirer d’éléments de la technique de communication appelée « entretien motivationnel ». Le rappel de « sentences » telles que « Il n’a pas encore touché son fond » est stérile ; il faut d’abord toucher l’autre, établir ce « lien » avec l’autre qui, le plus souvent, accepte alors la main tendue et l’aide proposée. Ces pairs doivent savoir que le « déni » affiché par celui qui continue à boire et à reboire est de nature très complexe : au mieux, ce déni est l’expression d’une motivation pas assez affirmée ; au pire, le déni est lié à la perte de la capacité de la personne alcoolique de voir la réalité, la sienne et celle des autres : c’est parfois un trouble cognitif induit, réversible dans un premier temps, irréversible dans d’autres cas.
Nous devrions donc tous nous atteler à relever le fond du panier – et c’est un défi de santé publique – plutôt que, de façon passéiste, voir les dégâts s’additionner.